Quelque part au début du mois de mars 2023, un couple me contacte pour se renseigner sur le type d’accompagnement à la naissance que j’offre et savoir si je suis disponible pour leur DPA: Date Probable d’Accouchement. Je prévois un premier contact de présentation d’une trentaine de minutes, bien entendu gratuit. Les deux futurs parents sont présents et me posent des questions sur mon approche et mes outils. Je leur parle de l’approche Quantik et des nouveaux paradigmes qui entourent la naissance. Nous apprenons à nous connaître pour savoir si nous faisons un bon « match ».
C’est si important. Et nous obtenons notre « oui sacré ». Un oui qui vient du cœur, comme une évidence qu’on ne peut ignorer. Je les invite à discuter entre eux et à me revenir ensuite d’ici quelques jours.
Et quelques jours plus tard, après mure réflexion, le « oui sacré » est toujours bien présent et nous prévoyons notre première rencontre à domicile. Comme ces clients demeurent à 1h30 de chez nous, nous alternons entre rencontre en présence et en visioconférence. J’apprends à découvrir un couple tellement touchant, sensible et connecté. Ils sont à l’écoute l’un de l’autre, avec une présence tellement bienveillante dans leur soutien qu’ils souhaitent s’offrir l’un à l’autre. À chaque rencontre à leur domicile, ils sont si attentionnés et m’accueillent avec des viennoiseries, des fruits, des douceurs. Ils sont si généreux. Ils aiment partager et offrir un espace propice à l’échange. Je le sens à chaque fois.
Comme ma cliente est déjà à 22 semaines lors de notre première rencontre, nous plongeons rapidement dans le vif du sujet de la naissance multidimensionnelle, celle de leur fille à naître aussi bien que de leur rôle en pleine transmutation, celui de devenir parents.
Doucement, au fil des rencontres, de multiples prises de conscience sont faites de part et d’autre révélant des défis profonds et si humains dans leur relation. Nous abordons des sujets tels que l’enjeu de performance, la flexibilité à créer de nouvelles façons de faire et d’être, les différentes attentes envers le/la partenaire de vie qui ne sont pas exprimées, comment être bienveillant envers soi et se donner plus de doux et s’imposer moins de pression. Nous explorons les peurs et les transformations identitaires, passer d’Homme à Homme-père par le relais du rôle de Gardien de l’espace, passer de couple à couple-parent en tant qu’équipe, passer de femme performante à femme-mère qui en fait suffisamment.
Ce couple me donne accès à leur précieuse et si puissante vulnérabilité et me démontre une confiance qui me fait gonfler le cœur à chaque rencontre. Ils m’invitent dans leur intimité et se donnent corps, cœur et âme dans leur déploiement. C’est puissant, c’est intense et tellement émouvant. Wow, je me sens honorée d’être avec eux et de témoigner déjà leur transition, leur naissance imminente en tant que Parent.
La grossesse amène ces petits réajustements au fur et à mesure, invitant maman à se nourrir d’une manière multidimensionnelle. De la nourriture nourrissante, des relations nourrissantes, des activités nourrissantes, des discussions nourrissantes… et à délaisser ce qui lui demande trop d’énergie, à renoncer à certaines croyances et à choisir ce qui la revigore. Au fur et à mesure de nos consultations, je les invite à faire des choix éclairés sur ce qu’ils souhaitent comme interventions (ou non) le jour où leur fille passera de la vie intra-utérine à la vie extra-utérine. Ils sont intéressés, curieux, posent des questions pour mieux comprendre et n’hésitent pas à demander le pourquoi des choses. Je les invite à faire confiance à leur intuition, à la sagesse du bébé qui s’exprime à travers eux quotidiennement.
Comme ils prévoient donner naissance à l’hôpital, je les informe des protocoles en vigueur et des possibles discussions qu’ils seront sujets à avoir avec leur praticien. Je leur présente le plan de naissance avec lequel je travaille habituellement, un plan fait sur mesure basé sur l’approche Quantik à la naissance en lien avec le Vortex de naissance. Je leur propose aussi un plan pour préparer un postnatal optimal. Ils choisissent chaque élément en prévision de ce grand jour qui arrivera et planifient les éléments qui seront utiles et nécessaires pour envisager le tissage de leur histoire. Des éléments tel que les alliés de la naissance et le village (réseau) en renfort, le plan de rétablissement pour nourrir l’énergie durant au moins 42 jours, le congélateur plein de plats qui n’attendent que de servir, parfois réconforter, lorsque les nuits seront courtes et certains jours moins facilement navigables.
Ils sont prêts. Nous sommes prêts.
Ma garde commence à 37 semaines, au même moment où ma cliente termine de travailler. Son temps d’arrêt pour la naissance de leur famille commence enfin. Une semaine où l’énergie fluctue, où tout est mis en place. Le couple continue de prendre soin d’eux et d’enlever la pression qui pourrait rester. On optimise la sécrétion d’ocytocine.
À 38 semaines, nous nous rencontrons une nouvelle fois pour finaliser de répondre à des questions émergentes et prenons le temps de diner ensemble. Aucun de nous ne se doutait que c’était notre dernière rencontre prénatale.
Quelques jours plus tard, le couple m’appelle de l’hôpital.
Lors de leur visite avec leur professionnel de santé, on dénote une pression sanguine élevée et des inquiétudes surviennent. Je sais ce que peut présager une pression aussi élevée. Je discute avec eux, ils sont confiants et prêts à toute éventualité. Ils attendent les résultats de bilan sanguins et d’urines pour dépister de potentielles traces de protéines et d'enzymes.
On suspecte une pré-éclampsie.
(La pré-éclampsie est une manifestation physique est en lien avec une hypertension artérielle pendant la grossesse et qui est accompagnée par une protéinurie, c’est-à-dire la présence de protéines dans les urines, dévoilant un déséquilibre rénal. Tout le monde peut développer une pré-éclampsie pendant sa grossesse. Cette pathologie de grossesse est potentiellement très grave et qui si elle n’est pas diagnostiquée à temps, mène vers l’éclampsie pouvant causer des convulsions maternelles, des séquelles au niveau cérébral, et puis causer la mort de la mère et du bébé… Donc pas banal et importante à diagnostiquer.)
En attendant les résultats, nous discutons des avenues possibles dans tous les cas de figure. Je les invite à poser des questions, à réclamer toutes heures leur permettant de transiter vers la naissance si cela est possible.
Les résultats arrivent.
Il y a une forte présence de protéines dans les urines et les tests révèlent la présence d’enzymes qui pourrait altérer à long terme le fonctionnement du foie.
On confirme le risque élevé de pré-éclampsie.
Donc la naissance est imminente. À bientôt 39 semaines, le moment est venu. Les parents repartent à leur domicile pour aller souper ensemble seuls une dernière fois, ils récupèrent leurs effets personnels en prévision de dormir ensemble à l’hôpital. Une induction du travail est prévue pour le lendemain matin. Le soir même, on leur propose de poser un ballonnet pour permettre au col de travailler durant la nuit et gagner quelques centimètres. Le couple s’installe ensemble dans la chambre de l’hôpital, écoute un film (Le Titanic) et tente de se reposer le plus possible.
On se rappelle en soirée pour se souhaiter bonne nuit et nous nous entendons pour que j’aille les rejoindre le lendemain en début d’après-midi, ou avant si besoin se présente.
La nuit est tumultueuse pour ma cliente, elle sent son col travailler et s’étirer amenant des sensations de contractions plus ou moins douloureuses.
Au matin, les contractions sont encore présentes et on propose un déclenchement par médication en comprimé, le Misoprostol appelé aussi Cytotec, plutôt qu’une induction par Pitocin (ocytocine synthétique). Le médecin en place leur propose cette voie qui serait plus en accord avec leur plan de naissance, moins limitative que l’induction par Pitocin.
À 6 heures du matin, le protocole médicamenteux commence. Les contractions s’installent rapidement. Comme mes clients avaient bien pris soin d’eux durant leur 3e trimestre, leurs réserves d’ocytocine naturelle sont pleines et optimales pour soutenir le processus de naissance. Ils naviguent les sensations aisément et font ce qu’il faut. Ils étaient prêts. Ils sont prêts.
De mon côté, je pense à eux et leur envoie tout mon amour, à distance.
J’ai une consultation à domicile pour une autre cliente qui est aussi à 38 semaines de grossesse ce matin-là. Avant de partir vers chez elle, je planifie ma journée, m’assure que quelqu’un pourra récupérer nos beaux enfants d’amour et m’assure que les repas pour les deux prochains jours sont prêts… des fois que..
9h35 - Je suis en route pour ma consultation du matin et à mi-chemin, mon client m’envoie un texto :
« Salut Mariepier, (prénom de sa conjointe) est déjà à 5 cm peut-être plus. Elle a perdu le ballonnet. Effacé à 80% ».
Je ne fais ni un ni deux, je rebrousse chemin et me dirige vers l’hôpital où ils se trouvent.
1h45 de route nous sépare. Le départ est maintenant.
En route, je prends le temps de téléphoner à la cliente que je devais aller visiter le matin. Je prends le temps de lui demander comment elle se sent, de ce qu’elle prévoie pour sa journée. Lors de mon retour, nous planifierons une nouvelle rencontre.
10h27- J’ai le désir intense de témoigner ma présence à ma cliente en travail. Je téléphone à son conjoint et lui demande de me mettre sur haut-parleur. Nous parlons très peu, je l’écoute chanter et souffler ses contractions. Je lui dis qu’elle le fait, qu’elle fait tout parfaitement. Que je suis avec elle dans l’invisible et que je me rapproche d’elle de plus en plus à chaque instant. Je reste en contact 3-4 minutes avec elle. Les contractions semblent intenses et très rapprochées. J’espère pouvoir arriver à temps, même si j’ai amplement confiance que ce couple saura faire face aux sensations ensemble.
11h09- À 19 km d’eux, je leur envoie un screenshot de ma position géographique. J’y suis presque.
11h30- J’arrive à cet l’hôpital où je ne suis jamais allé encore. Je me sens fébrile et m’invite à respirer lorsque je transite dans l’ascenseur. La vie est forte et tellement puissante.
Aujourd’hui sera un grand jour.
Je me dirige vers le poste des infirmières où on m’indique la chambre de mes clients.
Et j’entre.
Je découvre ma cliente assise sur son lit, appuyée sur ses bras, penchés vers l’arrière, concentrée à traverser sa contraction. L’infirmière m’annonce comme une alliée qui arrive. Ma cliente se met à pleurer, comme soulagée. Je suis arrivée au bon moment. Au moment, où on a déjà joué plusieurs bonnes cartes depuis le début, et qui à partir de maintenant réclame une dose de réconfort de plus.
Je me dirige vers le couple, sourit au père et à la mère qui sont en train de naître.
Maman fait tout ce qu’elle peut pour vivre chaque contraction. Elles se présentent de plus en plus fortes, bien plus puissantes que tout ce qu’on avait pu imaginer. Ce sont bien des contractions d’induction. Son partenaire l’a soutien, lui dit des mots doux, l’invite à respirer en respirant et en chantant avec elle. Les infirmières lui disent qu’elle est bonne et fait tout ce qu’il faut. Elles l’invitent à faire des sons graves, ce qu’elles répèteront fréquemment avant de finalement comprendre que sa tonalité à elle est plus aiguë que celle qu’elles souhaitent.
On évalue ma cliente. Elle est à 7 cm et on lui propose de se déplacer vers la salle d’accouchement. Je me place face à elle pour l’aider à se lever. Une contraction arrive et je l’invite à se tenir à mon cou pour que nous dansions ensemble la contraction. Et au sommet de la sensation, un grand « plouf » survient. Les membranes viennent de rompre. J’en informe l’infirmière, on vérifie qu’il n’y a pas de prolapsus du cordon et on se met en marche vers la chambre de naissance.
Une grande traversée de corridor s'apparentant à une marche nuptiale, ce qui fait bien rire tout le monde.
Arrivée là, on l’installe sur le lit, couchée sur le côté. Les sensations, fidèles à elle-même lorsque les membranes sont rompues, s’intensifient violemment. Les infirmières sont autour de mes clients et tentent de les rassurer et des les conseillers. L’une d’elles me demande de me déplacer et de reculer. Je tente de trouver ma place dans cette équipe qui ne semble pas habituée à intégrer des Doulas lors des accouchements. Je fais le tour du lit et attends l’ouverture potentielle, la faille qui se présentera et dans laquelle je compte bien m’installer pour faire ce pour quoi je suis ici.
Ma cliente, qui essaye de se concentrer, tente de trouver un espace à l’intérieur d’elle où elle peut accueillir ses sensations. C’est difficile, il y a beaucoup de mouvement autour d’elle. Tantôt elle se fait aspirer par des cris très aigus qui la sorte d’elle-même, tantôt elle parvient à rester ancrée dans son corps. Elle vacille entre le dedans et l’au-dehors comme pour tenter de trouver l’emplacement parfait pour elle, cet emplacement qui lui permettra d’incarner la personne qu’elle est en train de devenir. Son partenaire fait du mieux qu’il peut pour l’accompagner. Ils sont si courageux.
Le médecin déclare que le col de ma cliente est maintenant ouvert complètement et identifie une bande de col qui passera rapidement.
Je propose à maman de se placer à quatre pattes pour qu’elle puisse reprendre un peu de mobilité et favoriser la descendre de bébé à l’aide de la gravité. Elle s’installe, appuyée sur un ballon.
Dans la transition, je réussis à m’installer vers le haut du lit, presque devant ma cliente. Je lui empoigne la main gauche fermement et peux maintenant lui faire des points de pressions efficaces. Les contractions s’intensifient encore et sont tellement rapprochées qu’on a presque l’impression qu’elles ne s’arrêtent pas. Par moment, ma cliente cherche sa manière de passer au travers de chaque vague, comme si elle pensait ne pas y parvenir tout à fait. Les pauses sont courtes et semblent insuffisantes, insatisfaisantes. Des infirmières lui conseillent à plusieurs reprises de garder le contrôle. Ce qui fâche ma cliente. Et moi, je me penche vers elle et lui dit: "Laisse aller le contrôle, tu n'en as pas besoin, laisses ton corps faire, il sait ce qu'il fait. Ton travail à toi, c'est de prendre de grandes respirations et donner de l'oxygène à ton corps et ton bébé. Tu n'as rien d'autres à faire."
Et il vient ce moment, où son partenaire incarne d’une manière non-négociable le Gardien de l’espace. Et il appelle sa douce fermement, plonge son regard dans le sien et l’invite, l’incite, l’intime, l’exhorte à respirer. Il guide le rythme avec sa main qui monte à l’inspiration et descend à l’expiration, et ce, tout le temps de la contraction en cours, le temps qu’il faudra. Il mène la danse avec persuasion. Elle vient de trouver son phare. Cet espace, entre les deux, où elle sent qu’elle peut tout faire, pour eux, avec lui, ensemble. Elle ne le quitte pas des yeux, à aucun moment, par peur de sombrer dans l’intensité de ce qu’elle traverse.
Plus personne ne parle, il n’y a qu’eux qui existent et qui respirent. Le temps est suspendu. Ils traverseront ainsi leur Mort Quantik, main dans la main, le regard plongé dans celui de l’autre. Ce moment où l’on accepte de laisser mourir cette partie de nous qui doit laisser la place à la nouvelle version qui se présente. Je continue à suivre les contractions discrètement et fais les points de pression. Et elle peut enfin profiter de ses pauses où je sens qu’elle se détend entre chacune. Enfin.
Je leur laisse toute la place ensemble.
Et je me dirige vers le bas de sa jambe pour y faire d’autres points. Le médecin s’active à mettre des compresses chaudes sur le périnée de maman. Je sais que l’émergence arrive. Mes clients conservent leur bulle jusqu’à ce qu’on entende ma cliente émettre un son de poussée.
Les infirmières l’invitent à pousser et je l’encourage à suivre son corps qui sait et connait le chemin. Après quelques poussées, peut-être 35 minutes, on voit la tête.
Et la tête nait. Quelques manœuvres plus tard, c’est à quatre pattes que ma cliente accueillera dans ses bras sa fille chérie qu’elle aura tant appelée.
À 12:57 précisément.
Papa et maman sont sous le choc et si émus d’avoir réussi.
Ils l’ont fait. Leur premier bébé est né. On coupe le cordon et installe maman plus confortablement pour découvrir un périnée intact.
Le soulagement s’installe. Le placenta nait ensuite accompagné de très faibles saignements.
Je recule et m’installe au fond de la pièce sur une chaise berçante pour ne pas voler leur instant optimal d’ocytocine. Ça leur appartient. Ils ont tellement besoin de ce moment ensemble.
Ils passeront deux heures de plus en observation en salle de naissance, permettant tantôt la première tétée, tantôt à papa de faire officiellement connaissance avec sa fille.
Je le revois encore déambulant dans la chambre, sa fille réfugiée et calme dans ses bras, la contempler et versant quelques larmes. Il était si fier. Et je pense qu’il ne se doutait pas de l’existence d’un moment si puissant.
Je quitte discrètement pour leur laisser leur espace, j’installe la chambre et les effets au bon endroit, le plus accessible possible pour les heures qui vont suivre.
Ils retourneront ensuite dans leur chambre et commenceront à tisser ce qu’ils viennent de vivre.
Je prends ensuite le temps de rester avec eux pour les écouter, les féliciter, tricoter certains passages de ce qu’ils avaient vécu.
Et je reprends la route pour revenir chez moi en début de soirée.
Cette naissance aura mis en lumière la puissance du lien entre les partenaires/alliés lors de grands moments d’incertitudes et de transitions. Un lien où il est parfois nécessaire de trouver refuge lorsque plus aucun point de repère ne semble perceptible. Ce couple, uni et complice dans leur histoire de transformation m’aura beaucoup émue.
J’en ressors une fois de plus moi-même transformée dans mon expérience de Doula et tellement reconnaissante.
Une petite perle de vie est née à ce moment, accompagnant ses parents à s’incarner au passage.
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