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Photo du rédacteurMpier R. Lamoureux

Récit de Naissance: Danse avec la flamme Violette


Quelque part autour de la mi-juillet, je reçois le courriel d’une demande d’accompagnement à la naissance de la part d’une femme qui est à ce moment à 35 semaines de grossesse. Cela n’est pas habituel pour moi d’entamer des accompagnements à ce stade, les rencontres débutent habituellement plus lors du premier trimestre. Considérant qu’une grossesse régulière dure entre 37 et 42 semaines, je me dis que la fin approche à grands pas. Je me demande comment je pourrais tisser le lien de confiance et favoriser une préparation d’une manière optimale. Sur le coup, je suis tentée de refuser, je la dirige vers d’autres consœurs où il s’avère qu’elles n’ont pas de disponibilités pour sa date prévue d’enfantement. Je lui propose donc que nous discutions par téléphone pour évaluer ses besoins. Et dès les premières minutes de la conversation, je me rends bien compte que nous avons un match.  Je le sens à l’intérieur de moi, ce « oui sacré » qui se présente. Je me rends une fois de plus compte que ce sont souvent les accompagnements qui nous choisissent dans le domaine, peu souvent le contraire.  Depuis des mois, je demande à l’univers de m’amener les personnes à qui je peux être utile. C’est le moment de répondre « présente » à l’appel. Notre discussion est fluide, les attentes sont simples et nous convenons d’un moment de rencontre avec elle et son partenaire de vie.



Nous nous rencontrons. On élabore un plan de match.



Dans les 4 semaines précédents la naissance, nous aurons abordé ensemble la fabuleuse magie de la symphonie hormonale, de l’importance d’adresser les « mammouths » ou les « lions » comme j’aime bien les appeler, ces stimulateurs d’adrénaline, ces stresseurs du quotidien qui peuvent prendre tellement de place dans la vie et parfois s’immisce dans le déroulement fluide de la mise au monde. On explore la physiologie de l’enfantement et le vortex de naissance avec ses 11 étapes. De l’étape de l’embarcation jusqu’au processus du tissage, nous nous laissons porter par les sujets qui émergent au fur et à mesure et je tente de les outiller le plus possible pour le grand jour. Ma cliente me partage sa passion pour les pâtisseries, dont les tartes et chaussons aux pommes. Je sens son corps s’ouvrir et se dilater à l’évocation de ses pâtisseries préférées. Hummmm… c’est doux, c’est chaud, s’en est sensuel. Nous sourions son partenaire et moi, les hormones sont bel et bien là, fidèles au rendez-vous, manifeste de l’amplification de l’expression de ce qu’elle trouve si bon. Que c’est beau, que c’est rassurant de savoir que la vie a si bien fait les choses. Son complice l’observe avec amour et admiration. C’est elle qu’il a choisie pour mettre son enfant au monde, c’est elle qui fera de lui le père qu’il devient déjà de plus en plus à chaque instant.



Nous expérimentons des techniques de gestion des sensations de l’enfantement. Et puis, plus je propose d’outils et d’alternatives, moins j’ai l’impression que cela fait écho avec ma cliente… Elle acquiesce sans plus, étant une participante volontaire et impliquée. Je sens à l’intérieur de moi que… ce que je lui  propose à ce moment ne résonne pas avec elle. Le doute me traverse, et je me remets en question, je songe même un mince instant à lui proposer de la rembourser, peut-être ne suis-je pas la bonne Doula pour elle? Et puis, je plonge à l’intérieur de moi et demande qu’émerge la proposition de mouvement qui sera juste pour elle. L’écharpe de portage apparait dans mon esprit, les extrémités nouées et installer sur le dos d’une porte fermée, permettant de créer comme une balançoire de l’autre côté de la porte, un espace pour porter. Cette installation de suspension est souvent utile pour initier des bercements et se déposer. Elle s’installe à l’intérieur du foulard, face à la porte, l’écharpe supportant ses épaules et je sens sa tête qui se détend. Les rebords du foulard forment comme un refuge, limitant l’accès visuel à ce qui se trouve à l’intérieur de ce halo intime. Debout et les épaules déposées dans le tissu, il n’y a qu’elle et la porte, elle qui accepte de se laisser bercer et porter par l’écharpe. Et tout d’un coup, son compagnon s’invite dans son espace et se place en elle et la porte. Ils sont comme seuls tous les deux, dans leur espace intime, réservé. Elle le salue avec un « Allô » qui se voulait enjoué à la base, et elle observe son partenaire… et devient émue. Elle comprend ce qui l’attend, ce qui la traverse à ce moment est bien plus grand qu’elle, qu’elle et lui. Et lui, c’est la clé, le gardien qu’elle a choisi pour tenir son espace dans la pénombre qu’elle recherche, dans les abysses de son expérience d’enfantement et du devenir parent. Et ma mission apparait. Celle de leur permettre d’être dans leur espace d’intimité, de protéger leur vécu et leur histoire lorsqu’elle sera en cours d’écriture. D’offrir tous les moyens à ma disposition pour leur permettre de se retrouver ensemble, dans la proximité de leur complicité relationnelle. Merci pour ton soutien, chère écharpe.



Plan postnatal et plan de naissance élaborés, nous nous quittons et nous nous disons à la prochaine, au moment où le téléphone sonnera pour se rendre à l’ultime rendez-vous.

Je vis ma vie et j’occupe mon quotidien jusqu’à l’appel. Ayant deux clientes avec des dates probables d’enfantement rapprochées, je me rappelle les sages paroles d’une « Doulasoeur » qui me disait de son expérience « Les bébés ont toujours su être bons avec moi en me permettant des jours de repos entre les naissances ». Alors… je me dis que cela peut aussi être vrai pour moi. Je cultive la confiance et prépare quand même les provisions pour les jours à venir, tente de planifier ce qui peut l’être au mieux des circonstances de notre vie.



Un premier message texte survient le lundi matin 19 août. Papa m’avise de la présence de contractions qui durent environ 45 secondes au 7 minutes depuis 45 minutes. Il calcule et veille. Serait-ce le bon moment? On reste en contact… Et le corps se détend pour quelques heures… quelques jours parsemant le quotidien de quelques vagues de contractions irrégulières. Ces épisodes de l’embarcation envoient le message que tout est en place, que tout se déroule bien, comme des pratiques avant le grand voyage entre les mondes du vortex de la naissance. 



Et puis, deux jours plus tard, à 22h10, le téléphone sonne et c’est elle! Ma cliente au téléphone m’avise qu’elle vient de rompre les membranes, qu’elle a perdu les eaux et qu’ils se dirigent vers le lieu de naissance. Je décèle dans sa voix de la surprise, de l’ambivalence et une pointe d’urgence. Étant tout endormie, je lui réponds que je me prépare à les rejoindre, nous raccrochons un peu plus vite que je ne l’aurais souhaité. Un appel qui aura duré à peine 18 secondes à ma grande surprise. Même une fois la ligne coupée, je sens cette pointe d’urgence qui m’habite, comme si nous n’avions pas tant d’espace d’attente de disponible. Je prends une grande respiration. Je tente de la rappeler pour l’inviter à se laisser porter par les sensations et à se détendre comme elle le peut. Sans succès, je m’invite à suivre mes propres conseils et lui envoie une dose d’amour à distance, une vague de mon cœur au sien.



1h30 de trajet me sépare de ma destination. Le chemin est libre, la route est fluide, toutes les lumières d’intersections sont vertes et m’ouvrent la voie vers ce couple qui naitra comme parents dans quelques heures, accompagné de leur enfant.



J’arrive sur les lieux et m’informe à l’équipe d’infirmières du chemin à suivre vers mes clients. On m’attendais : « C’est vous la Doula? ». Je suis escorté avec douceur. Je découvre ma cliente qui navigue ses sensations dans un bain chaud, à ses côtés son complice gardien fidèle au poste et un peu plus loin, leur sage-femme qui les observe à distance… Maman accueille les sensations une à une sur une trame sonore de bruit de la forêt. Oiseaux variés, bourdons et ambiance forestière enveloppent l’espace de la pièce. Elle le fait, elle est puissante déjà, même si j’ai l’impression qu’elle ne le sait pas. L’intensité monte d’un cran, le bain n’est plus le meilleur endroit pour l’instant. Elle sort.

 

Je me dirige vers sa chambre avant elle pour y installer sa musique. J’ajuste la luminosité, elle préfère la pénombre et les lumières discrètes. Elle entre et prend place sur le lit, pour se reposer d’abord… Avec le déplacement et la marche, les contractions deviennent plus intenses et plus difficiles à souffler, à accueillir. Pourtant, elle souffle et chante ses sensations, elle y parvient. Elle trouve des haltes dans des rapprochements furtifs avec son partenaire qui est constamment à ses côtés et veille sur sa traversée du vortex. Ces moments où les regards sont suffisants, où il lui rappelle de profiter de ses pauses et qu’elle peut le faire.



L’intensité de chacune des contractions est changeante pour nous enseigner de leur mission respective, tantôt pour stimuler la symphonie hormonale, tantôt pour inviter le col à s’ouvrir un peu plus encore, et après pour permettre au bébé d’amorcer sa décente vers la vie extra-utérine. Elle pose des questions entre les contractions « Est-ce que ce sera encore long? », « Qu’arrive-t-il si je choisis de prendre la péridurale? », « Est-ce que cette sensation est normale ? » « Pourquoi ça fait si mal? ». Nous répondons à ces questions, nous répondons à son besoin d’être rassurée. Je sens qu’elle traverse des contrées inexplorées à l’intérieur d’elle, des voies qui s’ouvrent et apportent avec elles des interrogations. Plus les questions émergent, plus les contractions s’intensifient et font surgir un sentiment de découragement.



Une lutte, une bataille insoupçonnée apparaît à l’intérieur d’elle. Une danse entre soi et soi, dans ce qu’elle pense être capable et ce qu’elle est en mesure de réaliser. À l'inspiration de la Flamme Violette de Saint-Germain qui accompagne les périodes de guérison spirituelle, psychique, physique et émotionnelle, on sent l'invitation à transcender les mémoires du passé. Les peurs et les doutes fusent, amenant une intensité inégalée par le passé. Ce qui se joue actuellement dans ce sommet est essentiel à accueillir, à transcender, à honorer. C’est le phénomène de la « mort quantique », lorsque la personne que l’on est fait place à celle qu’on devient pendant notre mutation identitaire. À ce moment, nous sommes appelés à devenir la nouvelle version de nous-mêmes. Car nos enfants viennent et s’incarnent pour les personnes que nous devenons suite à leur naissance. Et parfois nous pouvons résister à ce changement, et plus nous résistons, plus les contractions sont puissantes, parfois violentes. Elles ne cèdent pas. Cette violence qui au final est en nous, ce rite hormonal qui ne vient pas de l’extérieur, mais révèle cet enjeu qui nous habite probablement depuis longtemps. Et cette phase, personne d’autre qu’elle ne peut la traverser. Nous avons beau comme partenaire, Doula, sage-femme, infirmière et médecin vouloir nous faire rassurants et soutenir du mieux que nous pouvons, c’est elle qui doit puiser à l’intérieur d’elle la force de transcender cette croyance qu’elle ne peut pas le faire. Nous proposons de varier les positions, faisons des points de pression, travaillons avec le peigne d’acupression, encourageons à faire des vocalises graves.  



Le changement de position de coucher vers une installation sur les genoux penchée vers l’avant apporte de nouvelles sensations et permet la transition vers une courte quiétude, le ralentissement des contractions avant de faire suivre sa grande marée avec l’arrivée de la poussée réflexe. Bébé traverse le col soutenu de la gravité. Il est maintenant au seuil de la vie extérieure. Il ne reste que quelques centimètres. Tout le long nous l’encourageons. Il s’avère que les poussées dans cette position ne donnent pas l’efficacité escomptée. La fatigue se présentant, un changement de position s’impose, encore. C’est sur le dos, soutenu par son partenaire et moi, qu’elle poursuivra la poussée. Papa l’encourage en lui mentionnant qu’elle fait tout parfaitement, que bébé est tout prêt, qu’il voit la tête poindre et la témoigne dans sa force. Et lorsqu’une pointe de découragement survient à nouveau, il l’invite à puiser en elle la force de sa lignée : « C’est maintenant le temps d’appeler toutes ces femmes de ta lignée qui ont donné naissance avant toi pour qu’elle te donne la force nécessaire de continuer. Je sais que tu peux le faire ». J’en suis touchée par tant de justesse et de sensibilité. Dans cet instant décisif, il est entièrement présent à ce qui se produit et manifeste concrètement sa posture de gardien.  Bébé avance et remonte à plusieurs reprises pour protéger le périnée de maman, s’accordant à la fois le temps nécessaire pour s’incarner totalement en tant que nouvel être humain et à la fois offrir du temps aux nouveaux parents pour transiter. Dans une dernière poussée, la tête nait et à la prochaine contraction le corps apparait dans une vague puissante vers l’extérieur. Bébé est posé sur maman, elle est encore bien loin entre les mondes. Il lui faudra plusieurs minutes pour effectuer son retour et comprendre ce qui venait de se produire. Et elle s’exclame : « Ahhhh bébé, tu sens le chausson aux pommes. ». Papa sourit et semble impressionné par la puissance de ce moment. Ils accueillent leur enfant ensemble et tombent en amour avec leur fille et une fois de plus l’un envers l’autre. Ce moment d’accalmie, ils l’ont mérité. Le placenta naitra ensuite, celui qu’il souhaitait conserver afin de ritualiser et de l’honorer par la suite. Il faudra un peu plus de temps encore pour effectuer des soins pour maman, son utérus partageant les échos de grossesses antérieures, de deuils qui ont dû être faits… il saigne et ne parvient pas à se raffermir, à se repositionner... pour le moment.


 

Dans l’approche Quantik, on parle des saignements de l’utérus comme l’utérus qui pleure des deuils, des traumas et des expériences antérieures, dont des interruptions de grossesse (planifiées comme non planifiées). Comme une manière de s’exprimer. Comme les saignements se poursuivent, les sages-femmes lui parlent de la nécessité de procéder à un massage utérin, ce qui n’est pas habituel comme pratique dans ce corps de métier sauf si nécessaire. Je saisis la balle au bond et invite maman à travailler avec moi dans le quantum, dans cet invisible qui sait si bien se manifester dans le visible. « Ma belle, es-tu d’accord pour que nous adressions à ton corps son vécu en ce qui concerne tes grossesses antérieures par une vague d’amour puissante. Es-tu d’accord pour que nous envoyions un message à ton corps que tu as su porter tous tes bébés, parfois jusqu’à la fin de leur vie prématurée, que tu as tout faits comme il le fallait, et qu’il n’est plus nécessaire de saigner/pleurer. La peine est entendue et reconnue. Tu n’as rien à te reprocher ». Maman me regarde de ses grands yeux émus, je lui souris, j’ai confiance. Et la sage-femme réévalue à nouveau l’utérus et annonce qu’il s’est raffermi et qu’il n’est plus nécessaire de procéder au massage utérin. Peut-être est-ce une coïncidence me direz-vous, mais le fait est que, à ce moment, maman transcendait et considérait ce vécu comme valide et faisant partie de son histoire de mère. D’une mère ayant vécu plusieurs grossesses à ce jour et accueillant son premier bébé vivant aujourd’hui. Cette vision est puissante et témoigne de la force qu’on dû faire preuve ces parents dans les vagues de la vie.

 


Je reste avec eux quelques instants après la naissance, le temps que l’intensité des derniers moments s’amenuise. Lorsque le calme revient, vient le moment où est proposé de couper le cordon qui lie bébé à son placenta, environ 1 heure après sa naissance. Papa, les bras remplie d'amour et de son bébé, m'invite à couper le cordon. C'est une première pour moi, je me sens privilégiée et intimidée par la manœuvre. C'est une étape intense et tellement symbolique de la mise au monde, une action que je considère dans sa sacralité. Je prends les ciseaux qu'on me tend. Je remercie le placenta d'avoir été le gardien de la vie de leur fille et d'avoir exercé son rôle vital de transmettre le nécessaire pour préserver et nourrir l'existence de cet enfant. J'avise bebe de cette transition qui se déroule. Et je coupe le cordon avec plein d'amour.


Je leur laisserai ensuite l’espace pour faire connaissance avec leur fille arrivée en ce monde. La famille est aux bons soins de leurs sages-femmes.  C’est à 8h30 le matin que j’entamerai le retour vers chez moi, à 1h30 de route, où je me remémorerai la puissance de la vie et des ressources insoupçonnées que chaque humain possède en lui. À chaque kilomètre qui me sépare de mon lit, que j’espère maintenant que l’adrénaline retombe graduellement, émerge en moi le sentiment de satisfaction et de gratitude de pouvoir témoigner de tels passages de la vie. Je repense à cette autre maman qui donnera bientôt naissance aussi….Et je cultive la confiance que les bébés seront bons avec moi en me permettant une bonne nuit de sommeil entre les naissances…


Je pourrais bénéficier de deux bonnes nuits de sommeil avant de repartir…pour l’accompagnement d’une nouvelle naissance.

 

 

 

 

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