Il y a de cela environ 1 mois, je discutais avec ma belle-mère de la fête de l’Halloween, donc de Samhain et de sa signification. Je lui racontais que c’était une fête païenne, un portail important dans l’année où le voile entre le monde de l'invisible et du visible s'amincit offrant une occasion idéale pour se synchroniser aux enseignements de ce portail. C’est une invitation à faire preuve d’intériorité et qui, avec le refroidissement extérieur, nous pousse à l’intérieur (de nous). C’est le moment pour être reconnaissant pour nos récoltes amassées pour l’hiver et célébrer la lumière qui reste présente même si l’ombre prend de plus en plus de place dans nos journées, et ce pour un temps. Samhain est aussi un portail significatif où nous pouvons honorer nos êtres chers qui se sont envolés et avoir une pensée bienveillante pour eux.
Cette période se présente pour nous envelopper de doux, de chaud et nous invite à nous connecter à notre vulnérabilité intérieure.
L’énergie est donc propice à cette connexion avec le grand tout.
Durant à notre échange, elle me parlait du rituel des morts qui avait lieu au Mexique et de l’aspect festif de cette fête. J’ai tout de suite eu envie de proposer un espace rituel pour ma communauté. Un Rituel pour « Honorer nos défunts ».
Le principe est assez simple :
- je procède à l’installation d’un feu de camp sur lequel sera posé un chaudron plein de chocolat chaud à partager avec les personnes qui se présenteront;
- je mets à disposition un tableau et des craies pour que les visiteurs puissent inscrire le prénom d’une personne chère qui est décédée;
- je prépare des bouts d’écorces pour écrire des messages à nos êtres chers qui seront envoyés dans le feu ensuite pour traverser le voile du monde invisible.
Bien sûr un gros plat de bonbons est prévu. Je m’engage à payer les frais de ce que tout cela implique par le biais de ma pratique de Doula.
Je communique donc avec une personne travaillant à l'organisation des fêtes du village et je propose ce rituel, dans le but d’un partenariat avec la municipalité. Comme il est habituel que ma localité prévoie un espace de célébration en plein cœur du village, je me dis que cela peut être à propos, favorisant l’esprit communautaire. Après avoir consulté le comité/Conseil (?) qui organise l’évènement, on me répond qu’on ne souhaite pas inclure le rituel que je propose à la célébration de l’Halloween par peur d’interférer avec l’Esprit joyeux et festif de cette fête. On me conseille de présenter ma demande à l’organisation religieuse de mon district pour que soit organisée une célébration… ????????? Sur le coût je suis surprise. En quoi l’approche rituelle devrait-elle être adressé à une organisation Religieuse? En quoi ce genre de rituel pourrait empêcher l’esprit festif et joyeux de l’Halloween? Je ne vois pas le lien… Il me semble qu’au contraire cela peut être une belle occasion de valoriser des valeurs fortes et remplies d’humanité.
Je respire et je décide de le faire quand même, mais chez moi. J’ai la place pour le faire. Je me prépare, je collecte le matériel nécessaire, je fais une publication Facebook sur le groupe de mon village et j’invite officiellement la communauté dans laquelle je fais partie.
Peu de réaction sur le groupe…Le doute me prend alors...
Est-ce que ça fonctionnera?
Est-ce que la municipalité avait raison d’avoir peur?
Est-ce que je continue?
J’en parle à quelques personnes de mon entourage, on dit que c’est une merveilleuse idée. Je fini par me dire que de toute façon, je le fais pour moi d’abord et mes êtres chers. J’ai quelques noms à inscrire de toute manière.
Je décide de poursuivre ma préparation. Le 31 octobre arrive et je finalise l’installation extérieure : feu de camp et le bois, chaudrons, torches, les bancs, le tableau et les craies, l’encens, les bonbons, la musique, les verres, la citrouille, les lumières, mon costume de cérémonie, etc. Certaines personnes m’interpellent durant le jour en me mentionnant qu’ils apprécient ce qu’ils voient. De loin, j’imagine la sorcière qui est autour de son feu et qui prépare ses potions, mon chaudron dans un premier temps plein d’eau pour que me préparer une tisane dans le jour. Je souris en pensant à cette image.
La journée est ponctuée de variation impressionnante de la météo, tantôt sombre et nuageux suivi d’un grand soleil d’automne ainsi que de grésil qui me surprend. Le vent présent et les -2 degrés Celsius du jour m’invitent à resserrer ma cape autour de moi. Tout le long des préparatifs, je garde confiance et continue de m’investir dans l’installation de cet autel grandeur nature. Je sais à l’intérieur de moi que quelque chose d’important se produira ce soir.
Mes enfants reviennent de la garderie et de l’école, je les prépare pour la soirée. Ils seront accompagnés de leurs grands-parents pour la tournée de cueillette de friandise dans le village. À 18h, je suis dehors autour de mon feu à attendre les premiers petits monstres et enfants costumés accompagnés de leurs parents.
Les premières personnes arrivent.
Tout de suite, nous échangeons sur les origines de la fête de l’Halloween et de Samhain. Je leur demande s’ils ont connu des êtres chers qui sont décédés et s’ils sont envie d’inscrire son prénom sur le tableau.
Sans aucune hésitation, ils acceptent et se dirigent vers le tableau. Ils me racontent l’histoire de ces personnes qu’ils aiment et de quelle manière elles ont été significatives pour eux. C’est beau et si vrai. Ils en ont des choses à dire. Ça me fait plaisir de les écouter. Ils repartent ensuite le sourire aux lèvres et me remercient de ce moment.
Pendant l’heure et demie suivante, la vaste majorité des personnes qui se sont présentées ont inscrit le prénom d’un être cher sur le tableau. Plusieurs ont écrit des messages sur des bouts d’écorces et ont les ont envoyés dans le feu. Plusieurs personnes ont été touchées et m’ont partagé leur reconnaissance, d’autres ont ri fort en repensant à certains souvenirs, des enfants ont parlé de leur poisson rouge et de leur animal de compagnie décédés, d’autres de leur père, de leurs grands-parents, de leur enfant partis trop tôt, de leur frère, de leur tante et de leur oncle, d’un ami proche, de leur partenaire de vie…
Nous avons partagé un chocolat chaud ensemble, on s’est pris dans les bras, on s’est souri, on s’est reconnu dans notre humanité commune. On s’est laissé éblouir par les flammes multicolores du feu magique de Samhain. Des parents ont soutenu leur enfant dans l’écriture de certains prénoms. Chaque personne a approché le tableau à son rythme pensant à cette personne bien-aimée qu’il chérissait. Le temps de le dire, ce tableau se garnissait de prénoms, aussi bien qu’il fut rapidement un défi de trouver de la place pour écrire les prénoms suivants. Les générations plus anciennes, les matriarches, les Gardiens, les femmes sages, les sorcières ouvraient le chemin pour montrer l’exemple aux générations plus jeunes. Ces personnes se sont supportées et l’ont fait ensemble.
J’ai rencontré des personnes de tous les âges, de plusieurs nationalités différentes, des mères, des pères, des grands-parents, des oncles et des tantes, des amis qui venaient de plus de 6 villages/villes à proximité, dont des personnes qui venaient des Iles de la Madeleine!
En 1h30, 78 prénoms ont été inscrits sur le tableau. 78 êtres chers qui se sont envolés ont pu être célébrés. Que c’était beau. Voici leurs prénoms : Paul-Emile, Mamie Colette, Nicole, Georgette Aténa, Didier, Mario, Sofia, Lévis, Jeanne-Marie, Clarina, Jean, Denis, William, Sam, Claire, Doris, Martine, Camille, Michel, Marguerite, Clément, Régis, Suzanne, Cindy, Jeannine, Claire, Alicia, Danielle, Jean-Guy, Claire, Clémence, Renée, Ernestine, Raynald, Noélie, Sofia, Madelène, Jeanne, Raymond, Denise, Jeanne , Jean-Marie
Mamie Josée, Lili, Morgan, Denis, Lorreta, Paul-Émile, Ti-Rouge, François, Roméo, Denis, René
William, Momo, Aline, 7up, Marcel, Claude, Roger, Noëlla, Suzanne, Nicole. Camut, Marie-May
Ernestine, Blue, Lionel, Lucie, Nuage, Odette, Jérémie, Didié, « crème --------- » *
Rodéo, « Mail » * et « Milène » *.
*Les mots suivis d’un * représentent des écritures qui ont été plus difficiles à déchiffrer pour moi, mais dont je souhaitais inscrire la présente tout de même.
C’est le cœur rempli de gratitude pour ce moment que nous avons vécu ensemble et que je constate l’importance et la nécessité de ritualiser les passages, d’offrir des espaces d’échanges et de connexions avec la communauté dans laquelle nous évoluons. Avant et après cet événement, j’ai reçu plusieurs messages privés de personnes mentionnant à quel point il trouvait cette proposition belle, juste et appropriée. On m'a confié à quel point cela leur a fait du bien de participer et d'honorer le passage de la mort, pour ceux qui partent autant que pour ceux qui restent. C'était un rituel rempli d'humanité suite à une situation pandémique qui aura empêché plusieurs personnes de ritualiser la perte de proches et de sentir le soutien de la communauté.
Il est d’une évidence que je souhaite reproduire ce genre d’événement.
C’est grand et tellement essentiel.
MERCI pour ce merveilleux moment!
C’est beau la vie.
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