Note de bienveillance.
Je vous livre aujourd’hui ce récit avec le plus d’humilité possible et en étant consciente que ce genre de sujet pourrait confronter plus d’une personne. Ce qui m’amène à vous inviter à la bienveillance et l’ouverture dans la lecture de ce billet. Si vous sentez que cette lecture pourrait d’une manière ou d’une autre vous faire réagir, déclencher quelques traumas ou vous mettre en un état de vulnérabilité, je vous conseille de faire preuve de délicatesse et de douceur envers vous-même et de ne pas le lire. Sachez qu’il est possible de m’écrire afin que nous puissions en discuter ensemble. Si vous en sentez le besoin ou la pertinence bien entendu.
Il y a de cela un peu plus d’un mois, un couple me contacte pour que je les accompagne dans un parcours d’interruption de grossesse.
Je prends le temps de les rencontrer. Ces deux personnes me racontent leur surprise lorsqu’ils ont découvert ce petit "+" apparaître sur le test de grossesse, considérant que tous les deux suspectaient qu’ils ne pouvaient concevoir d’enfant dans le passé. N’étant pas prêt à prendre un tel engagement dans leur relation nouvelle, pour le bien-être de leur santé mentale, relationnelle et familiale, le choix de l’interruption de grossesse leur est apparu le plus approprié. Pour toutes ces raisons qui sont les leurs (et d’autres non mentionnées pour préserver l’intégrité de mes clients), ce choix était le plus sensé et leur permettait de se sentir plus sereins avec leur conscience.
Loin de moi l’idée de débattre de ce qu’est « un bon choix » ou non, mon rôle premier est de soutenir des transitions de vie avec le plus de bienveillance et de conscience possible. Ce qu’ils venaient chercher auprès de moi précisément.
Dès le début de cet accompagnement, je propose l’implication des deux partenaires. Depuis trop longtemps, le fardeau de la fertilité est relégué aux personnes ayant un utérus. Or, les grossesses surviennent à deux. Et pour moi, si la situation le permet bien entendu, la présence des deux personnes concernées est un élément déterminant dans le processus. Ils acceptent tous les deux sans hésitation.
Au fur et à mesure de nos rencontres et des décisions qu’ils prenaient ensemble, je les vois s’incarner comme alliés, présent l’un pour l’autre comme il m’a rarement été possible de le témoigner chez d’autres couples. Wow! Les deux sont si investis et à l’écoute des besoins de l’autre, si présents et bienveillants, si impliqués dans les choix qu’ils font. Je suis sincèrement émue de constater leur complicité dans cette situation. Je célèbre leur complicité et observe à quel point cela peut être bien impressionnant de se retrouver à faire d’aussi gros choix aussi rapidement dans une relation encore toute fraîche. Un défi de taille.
Leur objectif est d’honorer ce qu’ils vivent ensemble et cette étincelle de vie qui a choisi de s’installer dans leur parcours. Ils souhaitent lui rendre hommage, la remercier, la célébrer et en prendre soin jusqu’au moment de son départ vers le Grand Tout. Ma cliente choisit de continuer de prendre soin de son alimentation, prend des suppléments prénatals et évite les aliments habituellement contre-indiqués lors de grossesse. Elle souhaite le faire, dans une approche de respect et d’amour absolu pour elle et la vie. Elle souhaite porter cette vie avec le plus de bienveillance possible.
Nous prenons le temps de discuter des choix et options possibles pour eux en fonction de la maturité de la grossesse en cours. Contrairement à ce que plusieurs pensent, le curetage n’est pas le seul choix disponible et sécuritaire. D’autres façons de faire sont possibles. Des avenues plus douces, pouvant se dérouler dans la grâce et l’humanité, accompagnées et soutenues tout le long du processus.
Le couple souhaite que je les accompagne lors des visites médicales à la clinique de Planning et les aides à faire des choix éclairés en ce qui concerne les options qui s’offrent à eux. Mon rôle est aussi de les accompagner au niveau spirituel de l’expérience à vivre et de leur permettre d’inclure des notions rituelles au processus. Je leur propose de préparer un plan d’Interruption de Grossesse et de rétablissement, ce qui permettra de prendre du pouvoir sur le processus et de voir venir graduellement cette transition qui se présente : passer de personne enceinte à personne plus enceinte.
Un premier rendez-vous a déjà été fait à la clinique de Planning, où des informations ont été transmises. La prochaine rencontre prévue est la semaine suivante, où les détails seront abordés avec infirmière clinicienne et médecin. Ils me demandent de les accompagner.
À la fin de notre rencontre, la marche à suivre se dessine.
L’interruption aura lieu dans un peu moins d’un mois, les dates précises sont définies, à domicile, par voie médicamenteuse (la première médication prise à la clinique et la seconde prise au domicile des clients). Les personnes présentes seront le couple et moi.
Nous avons donc du pain sur la planche ensemble et prévoyons nos rencontres dans les plus brefs délais.
Le jour de la rencontre à la clinique arrive. Première rencontre avec une infirmière clinicienne et le médecin. Tous deux semblent surpris de constater la présence d’une Doula. Cela ne semble pas être pratique courante. Mes clients auront rencontré préalablement une Travailleuse sociale que ma cliente aura choisie pour discuter de la situation et non celle proposée par le service.
On procède à l’échographie pour évaluer l’âge de la grossesse. Ma cliente demande une copie de l’échographie, ce qu’on lui refuse. Je lui propose de prendre une photo avec son téléphone, ce qu’on lui permet de faire.
Mes clients exposent leur plan de match, puissants et délicats à la fois dans leur présentation. Comme si ce n’était pas si simple de s’imposer dans un processus déjà réfléchi. Et ça ne l’est pas. Mes clients ont besoin de mettre certaines choses en place et de se préparer pour se donner le plus d’espace possible pour vivre et intégrer cet événement, ils ont besoin de temps. Ils planifient l’interruption la semaine suivante. Ils prépareront le plan de rétablissement, le lieu. Ils devront se munir de matériel pour le rituel et le moment, prendre le temps d’écrire une lettre à cette petite vie, ajuster la supplémentation et l’alimentation durant au moins une semaine pour soutenir le corps de ma cliente, prendre le temps ensemble d’intégrer ce qui se produit, à leur rythme le plus possible.
Après exposition auprès de l’infirmière et du médecin, il est possible de constater leur surprise quant au projet, s’y oppose partiellement, soutenant que l’interruption de grossesse par voie médicamenteuse est certes sécuritaire, mais devraient être faite plus rapidement. Le médecin propose de prendre la première médication aujourd’hui (celle qui fait cesser l’évolution de la grossesse) et ensuite de donner la deuxième médication dans deux jours, celle qui permettra de libérer la grossesse en faisant contracter l’utérus. Elle tente de les convaincre, et ce même s’ils ne se sentent pas prêts « parce que c’est mieux » selon elle.
S’en suis une session d’explication et de présentation des méthodes de contraception disponibles variées (1min30) en prévision du « après » et d’un monologue ventant les bienfaits du stérilet d’hormones (un bon 10-12 minutes). Un discours auquel mes clients ne sont pas très attentifs, trop absorbé par la situation qui est la leur.
« Voici ce qui est disponible. »
« Le stérilet c’est le mieux »
« Regarde les stats. Tu vois bien. La plupart des femmes choisissent ça et sont satisfaites. »
« Tu vas aimer ça. En plus tu vas probablement arrêter de saigner. C’est super. »
« Aller je te fais ta prescription. »
(Ma cliente n’avait pas encore dit oui que la prescription était déjà dans sa main.)
J’entends ça et je me sens frustrée. Ce n’était pas ce que souhaitaient mes clients. Et à la fois, le manque de délicatesse et de considération me rend mal à l’aise même si je sais que c’est « la procédure ». Je ne peux pas croire que c’est toujours comme cela? Est-ce qu’on peut leur laisser le temps de ne plus être enceinte avant de jouer la carte de la culpabilité et de mettre de la pression sur la gestion de la fertilité svp !??
Nous demandons à prendre un temps de réflexion ensemble, sans la présence du médecin, pour peser les "pours" et les "contres" en ce qui concerne le moment de l’interruption de grossesse. On nous offre un bureau tout prêt qui est libre.
Après discussions, le plan de match initial est conservé et ils verront en temps et lieu… plus tard pour les moyens de contraception. La décision est transmise au médecin par le biais de la secrétaire (à la demande du médecin). Et on peut partir.
Toute la semaine, nous entretenons une correspondance par messagerie. Ma cliente peut y déposer ses idées de rituels, ses émotions en temps réel, ses préoccupations, ce qu’elle apprécie du processus en cours et en ce qui à trait des questions sur le déroulement de l’événement à venir. Je rencontre une nouvelle fois le couple en consultation. Nous peaufinons les derniers détails concernant le jour « J » et le rétablissement qui suivra. Car oui, le rétablissement est à prévoir, planifié comme un postnatal, parce que c’en est un. Quand les semaines suivants la grossesse (qu’importe le nombre de semaines) sont bien préparées, cela facilite le tissage de l’expérience pour la personne, le couple, la famille. J’irai donc les rejoindre le matin tôt en ce jour « J » avant la prise de la deuxième médication, je les laisserai ensemble pour laisser place à l’embarcation parce que ça leur appartient. Je resterai sur appel et reviendrai les rejoindre lorsque les contractions seront bien présentes jusqu’à l’émergence. Ce sera une grosse journée.
Les jours suivants, on se prépare pour la dernière rencontre avec l’infirmière clinicienne pour recevoir le premier médicament. Je prépare une infusion froide de menthe poivrée et de rose, pour soutenir l’administration, aider à « dit-gérer » ce qui se déroule et amener la douceur de la rose dans l’acte. Mes clients se sont prévu des douceurs pour le reste de la journée, le moins de pression possible, des activités douces et calmes ensemble, aller manger au resto, un film ensemble, on optimise l’ocytocine.
On se présente à la clinique de Planning. On attend dans la salle d’attente. Ma cliente est fébrile, émotive et tellement confiante à la fois. Elle est assise près de son partenaire, la bouteille d’infusion teintée rose dans ses mains, et attend ton tour. On l’appelle enfin.
L’accueil est dur, froid et absent de toute sensibilité avec l’infirmière clinicienne en place. Pas de « Bonjour », de « comment allez-vous aujourd’hui? » « Comment s’est passée votre nuit? » « Avez-vous des questions avant que l’on commence? » « Est-ce toujours ce que vous souhaitez? ».
Rien.
On aurait dû se préparer mentalement, tsé… même l’ascenseur était en panne pour pas qu’on arrive trop vite à l’étage!
Les seuls mots transmis ont été …
« Viens, je vais te faire ta prise de sang pour ton test de grossesse »
« Voici ta première médication, à prendre avec CE verre d’eau. »
« On va planifier un prochain rendez dans 10-14 jours pour voir si tu as encore des hormones et planifier la pose de ton stérilet » (sachant que ma cliente n’a pas encore donné son accord)
« Pas de question? »
« Bon et bien, bonne chance » .
Ouff! 13 minutes dans le bureau, merci bonsoir.
On est tous un peu sous le choc de cette rencontre expéditive. Je leur propose de prendre le temps de jaser à l’extérieur. On s’installe à une table de pique-nique. On crée un espace pour partager leurs ressentis, de leurs émotions, leurs projets des journées à venir, de ce qu’ils avaient préparé. Et on passe un bon 45 minutes ensemble, et on a fini par rire de d’autres sujets, suffisamment prêt pour retourner dans nos vies jusqu’au prochain rendez-vous.
Le jour « J » arrive. Et je me prépare. Ma valise est prête. J’ai été chercher tout le matériel qui pouvait être utile pour mes clients, alaises et gants, pierres et tisanes, chandelles, et compagnie.
J’arrive à leur domicile, ils s’affairent dans la maison dans les derniers préparatifs. Elle place un jeu de cartes avec des paroles bienveillantes sur la table. Elle en choisira deux qu’elle déposera sur son autel avec d’autres objets symboliques pour eux.
Son partenaire se rend à la pharmacie chercher le dernier article qui leur manquait, une doudou pour qu’ils gardent une empreinte matérielle de cette journée et de ce qu’ils vivront ensemble.
Pendant son absence, nous parlons de sa nuit, de comment elle se sent.
Elle me montre la petite boîte où ils déposeront leur petite boule de vie lors de l’émergence.
Elle me compte aussi qu’elle a déjà commencé à avoir des saignements depuis la veille. L’intelligence de son corps sait ce qui se prépare.
Il est prêt, elle est prête, ils sont prêts.
Et son partenaire revient avec une belle doudou au couleur du soleil. Déjà, ça réchauffe le cœur.
Je mets de la musique à la demande de mon client.
Nous nous installons dans le salon. Je respire et je prends conscience de ce moment important qu’ils vivront et dont je serai témoin.
Je lui propose de lire la lettre qu’elle avait écrite pour la petite vie qui est venue les visiter. Elle la lit avec émotion et tellement d’amour. « À notre petite boule de vie, Tu as été conçu dans l’amour ne doute jamais de cela. Ton papa et moi vivions un de nos plus beaux moments depuis nos séparations respectives . Tu nous donnes la force d’avancer vers le meilleur … 9 semaines que tu t’es installé confortablement dans mon bedon 9 semaines qu’on prépare ton départ prématuré, mais bien réel 9 semaines à se dire que tout arrive pour une raison Tu as donné la chance à ton papa et ta maman de s’aimer encore plus fort te laisser partir est aussi une façon de prendre soin de nous 3 Tu resteras dans le cœur de maman et papa pour toujours Vole petite luciole… 9 semaines à t’aimer un peu plus fort chaque jour! Nous poursuivons notre route transformée par ton passage dans nos vies . Papa & maman xx »
J’en suis touchée, son conjoint aussi.
Nous visitons un temps de pause ensuite.
Dans les bras l’un de l’autre, ils s’accueillent.
Je lui demande ensuite si elle préfère préparer sa médication seule ou si elle souhaite que je le fasse pour elle.
Elle me demande de le faire.
Je prends la boîte et ouvre les sachets, je dépose les 4 comprimés sur la petite couverture choisie soigneusement pour l’occasion. Lorsqu’elle sera prête, elle pourra les prendre.
Et elle les prend et les laisse fondre dans sa joue, comme le protocole le suggère.
Je dépose dans sa main un quartz rose pour qu’elle reste soutenue dans sa bulle d’Amour et je les laisse ensemble jusqu’à ce qu’il me rappelle.
Le Misoprostol (le deuxième médicament) est reconnu pour faire effet entre 1 et 12 heures, et habituellement plus entre 4-5-6 heures. Donc, j’avais planifié une rencontre prénatale avec un autre couple pendant l’attente de cet appel. Comme j’étais dans la même ville, cela me semblait le plus optimal possible en terme d'organisation. Je dine avec mes autres clients et quelque temps après, je commence à recevoir des messages de mes clients du matin. Elle m’informe que les contractions commencent à être plus intenses.
Elle a pris un bain, elle se sent nauséeuse maintenant.
Et deux minutes après, elle m’envoie une photo d’une petite bulle déposée sur une serviette.
C’était fait! En moins de deux heures, le processus était complété. Wow!
Je me dirige immédiatement vers chez eux. Je suis à 15 minutes.
J’arrive et entre discrètement dans la maison. Son conjoint est en train de lui préparer une collation. Et elle se trouve dans la chambre. Je la découvre assise en tailleur sur son lit devant la pierre de Quartz Rose et le petit fœtus toujours enveloppé dans sa poche des eaux, posé devant elle. Il est enveloppé de toute la douceur du monde, protéger, à l’abri de l’extérieur, niché dans sa bulle protectrice infranchissable. C’était comme si, toujours enveloppé dans sa bulle, la transition du au-dedans vers le au-dehors s’était fait sans choc, sans interférer avec son habitat à lui.
Elle l’observe plusieurs minutes, le regarde et sourit légèrement. Elle semble à la fois fascinée et si respectueuse de ce qui venait de se dérouler.
J’approche et m’installe de l’autre côté du lit face à elle. Elle me raconte son étonnement quant au déroulement rapide de l’émergence. Elle me précise comment elle a fait, comment elle s’est écoutée, comment son partenaire a fait tout ce qu’il faut pour la soutenir et être près d’elle. Elle est fière et calme à la fois. Son partenaire apporte la collation et participe à l’échange.
Viens ensuite le moment où ils choisiront de déplacer leur petite luciole dans la boîte qu’ils avaient choisie en prévision de leur dernier rituel pour honorer son passage.
Et papa a un éclair de génie.
Il décide de couper un bout de sa propre doudou, qu’il avait gardé de son enfance pour faire un petit coussin dans la boîte et amener plus de douceur. Je me sens remplie d’émotion et je suis tellement touchée. C’est fort et si doux à la fois. Il passe les ciseaux dans la couverture de son enfance, celle qui a dû bercer plusieurs nuits mouvementées, essuyer plusieurs larmes de chagrins et réconforter tant de moments d’enfant. Il offre une part de lui pour la transition qui s’effectue. Car, il ne sera plus le même à partir d’aujourd’hui, après cet événement. Cette expérience a fait de lui un père, qu’il le veuille ou non, qu’il en ait conscience ou non.
Il prend ensuite le soin de déposer, avec le plus de délicatesse possible et de bienveillance, le tout dans cette petite boîte qu’ils refermeront ensemble. Un geste porté par la conscience des parents qui ont élevé cet instant au-dessus d’un geste banal, comme un hymne à la vie en tout respect de la mort.
J’installe autour de la boîte un ruban blanc dont je fais une boucle avec minutie et considération.
Nous discutons ensemble encore quelque temps et je les laisse ensemble tisser le reste de leur journée.
Papa aura veillé sur sa partenaire toute la soirée pour s’assurer qu’il n’y ait pas de saignements importants (à toutes les demi-heures), que le tout reste le plus sécuritaire possible pour tous les deux. Il aura veillé à son confort du début jusqu’à la fin.
Une petite luciole s’était envolée. Un processus respecté jusqu’à la fin.
Il était important pour moi de rédiger ce récit pour démontrer que malgré l’intensité de ce type de moment, il est possible d’y apporter grâce et déférence. Les interruptions de grossesse, encore souvent mal accompagnées et trop souvent jugées, sont des instants remplis d’émotions et d’intensité. Je souhaite sincèrement que toutes les personnes qui auront à traverser ce passage puissent être accompagnées comme elles le méritent et puissent y retrouver une dose de réconfort. Un réconfort que chaque humain a le droit de réclamer, qu’importe ce qu’il choisit ou non de vivre.
Quel privilège cela aura été pour moi de les accompagner et les témoigner dans leur parcours.
La vie est grande et puissante, autant que ces passages.
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