L'intervenante est morte...
- Mpier R. Lamoureux
- 23 nov. 2022
- 3 min de lecture
La libération des termes.
(Tranche de vie et compréhension du moment.)
Je passais une entrevue pour un emploi il y a quelques mois. Une pensée m’est apparue et me disait : « Tu dois te trouver un travail!! ». J’ai donc postulé pour un poste et contre toute attente, j’ai été convoqué en entrevue. Cela faisait maintenant presque 10 ans que je n’avais pas été mise à l’épreuve de l’entrevue. Wow! Quel choc! J’ai été estomaqué de constater à quel point l’importance de mettre un nom sur les actions, de porter un jugement et de stigmatiser.
Sans parler des 4 personnes présentes lors de cette « rencontre conviviale ». En alternance « Nommez-nous deux de vos qualités. », « Définissez personnes vulnérables », « Que feriez-vous si… » « … évaluation de rendement… » C’est à ce moment que j’ai compris…lorsque ces 8 paires d’yeux me scrutaient, me jaugeait, me tournaient de tout bord tout côté pour voir si j’étais LA personne PARFAITE pour l’emploi. J’ai compris que j’étais en décalage. Je comprenais les questions qu’on me posait, tout en ne comprenant pas pourquoi nous en étions encore à ce point où nous devions juger l’autre de manière si archaïque.
Dans un domaine comme celui de la psychologie, j’avais espoir que l’on améliore les pratiques et évoluent. Non. Déception. Finalement, le milieu où je m’attendais qu’il y ait le plus d’ouverture est celui qui porte le plus de jugements!! Diagnostique. Préjugés. État de la situation. Personnes fragilisées ou démunies. Distance professionnelle. Froideur. Distance. Ennui. Déshumanisation. Mort.
Lors de cette entrevue, je suis morte. Enfin, l’intervenante est morte. J’ai senti un tel décalage, un néant se creuser entre celle que j’étais et celle que je suis. Je me suis insurgé contre celle que j’ai pu être un jour. Lors de cette entrevue, j’ai compris que jamais plus je ne pourrais revenir en arrière. Mon objectif depuis plusieurs mois est le même « On avance.. », et je n’étais clairement plus au même endroit.
Pourtant, à ce moment même de ma vie, je continuais de postuler à des emplois dont le terme identifiait celle que j’étais, celle que je voulais être, celle que j’ai été. Je vivais dans un passé révolu, un passé qui n’existait plus. Le processus de deuil et de mort s’enclenchait graduellement pour laisser place au vide. À l’absence de termes, de connotations. Et j’assimilais …
« Je ne suis rien, et je suis tout à la fois. »
Dernièrement je lisais de Musashi : « Quand votre esprit n’est plus du tout obscurci, quand les nuages de la confusion se dissipent, il y a le vrai vide ». Je me disais c’est merveilleux. Je ne suis rien. Je n’ai pas envie de porter d’étiquettes, d’expliquer continuellement qui je suis et de prouver que je suis compétente. J’ai envie d’être et de faire. Le vide est un terme faisant émerger bien des peurs chez beaucoup d’humains. Qu’arrive-t-il s’il y a le vide? Nous avons l’impression de manquer. Dans une société de consommation comme la nôtre, nous avons des maisons remplies de beaucoup de riens qui font office de présence. Des joujoux et de meubles que l’on n’utilise pas, des objets sans vie qu'on ne se décide pas à évincer parce qu’on a l’impression qu’ils sont importants… Remarquez comme il est difficile de ne pas remplacer un meuble qui se brise et qu’on sort de la maison… Parce qu’une maison pleine est une maison riche. Parce que nous souhaitons combler des besoins qui dépassent les liens matériels. Alors on embourbe nos maisons tandis que nos cœurs sont en carence.
Mais s’il n’y a pas de vide, il n’y a pas de place ? Comment pouvons-nous accueillir les multiples cadeaux de la vie s’il n’y a pas d’espace pour eux? Quel défi!! Apprendre à tolérer le vide sans essayer de le combler. Ce vide peut être matérialisé de diverses façons (perte d’un emploi, disparition d’un proche, séparation, absence de relations, etc.). Le défi est précisément là.
Et je me rends compte, la vie m’a fait un merveilleux cadeau. Celui de me défaire de noms et de connotations, d’être plus qu’un simple mot, de créer un vide dans mon identité professionnelle. Je ne souhaite être défini ni cloisonner à une tâche en particulier. J’ai envie de faire ce qui doit être fait, pour moi d’abord.
J’ai ce besoin d’être qui je suis en me libérant des jugements que je porte encore, et heureusement de moins en moins. La vie m’a permis d’effectuer la libération des termes. Je ne serai plus jamais celle que j’étais. Je marche vers celle que je suis pas à pas, au rythme du moment présent, en conscience, dans le vide.
Je ne suis rien et je suis tout. Et c’est parfait ainsi.

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