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Photo du rédacteurMpier R. Lamoureux

Accompagner la vie, et la mort qui en fait partie

Dernière mise à jour : 17 oct. 2023

Il y a plusieurs années, au moment où je souhaitais offrir mes services de soutien, je cherchais un «Titre» un «nom» à ma profession autonome qui représentait avec le plus de justesse possible ce que je faisais. Il était clair pour moi que je souhaitais accompagner ce qui faisait partie de la vie, sous toutes ses formes, ses déclinaisons, en complémentarité, d’une manière la plus globale possible.


D’où l’émergence de ce titre que je me suis approprié rapidement « Accompagnante de vie ».


Bien sûr, la vie n’a pas besoin d’être accompagnée en soi. Elle n’a pas de besoin en tant que tel, elle est tout simplement et elle va et vient. Mon rôle d’Accompagnante de vie se concrétise dans le fait de témoigner ces passages, de l’observer, de tenir la main à ceux qui la navigue, à ceux qui s’accrochent et se permettent cette grande traversée.



J’ai d’abord commencé par accompagner l’énergie, ce flot de vie qui nous habite. Un rôle qui me propose d’être au service de l’énergie qui circule en nous et tout autour de nous. Il m’est apparu évident ensuite que ce processus prendrait des formes bien plus larges et inclusives avec le temps.


La vie, c’est si grand et tellement consistant.


S’est ensuite ajoutée l’intention d’accompagner les nouveaux humains à s’incarner et de permettre l’accessibilité à du soutien dans les transitions de vie, comme par exemple lors de la mort. Mon rôle est un processus, une présence évolutive en fonction des besoins et de mes capacités qui se développe. Entre autres, cette capacité de présence bienveillante qui croît de jour en jour.


Lorsque j’ai choisi d’entreprendre officiellement ma voie de Doula Large Spectre, je savais que j’aurais des occasions de porter des espaces aussi différents les uns que les autres, mais pas nécessairement dans des espace-temps aussi rapprochés que dernièrement.


Je souhaitais être disponible et utile pour ceux qui en ressentiraient le besoin. Être utile pour ces personnes qui tentent de retrouver leurs repères lorsque la vie envoie un de ses soubresauts, souvent inattendus.


Lorsqu’on entend le mot Doula, la plupart du temps soit on ne sait pas à quoi cela fait référence, soit on associe sa pratique exclusivement en ce qui concerne l’univers de la naissance. Hors, la pratique de la Doula va bien au-delà de cet unique sphère.


Hier a été une journée remplie de grâce et d’intensité, tellement que je dois prendre le temps de retomber sur mes pieds aujourd’hui.



Pour débuter ma journée, j’ai eu l’immense privilège de porter un espace rituel afin d’honorer une famille et son placenta. Un espace d’échange a été permis, nous amenant à revenir sur certains aspects de la naissance de leur enfant ayant eu lieu quelques mois plus tôt. Des offrandes ont été déposées, la festivité et plusieurs émotions ont été partagées. Des élans de gratitudes, des phrases marquantes qui ont été relancées dans l’invisible directement aux personnes concernées, des libérations qui ont lieu, des membres de la famille qui ont pu entendre et être témoins de ce qui a été parcouru durant les derniers mois sur ce nouveau chemin de la parentalité, parfois sinueux. On a pleuré, on s’est pris dans nos bras, on s’est reconnue, on s’est remercié. Le placenta de cette naissance a été honoré, célébré et chanté pour ensuite être confié à la terre accompagnée d’un rosier qui a aussi été planté en son honneur.




Et je suis revenue à la maison, accompagné de mon fils qui m’aura suivi toute la journée, parce que la vie est ainsi faite et c’était parfait. Nous avons terminé notre après-midi par une sieste collée. Une des bénédictions du jour.



Un peu plus tard, je prends le temps de m'informer auprès d'amis qui traversaient une épreuve familiale difficile depuis le matin, la perte d’un animal de compagnie.


Et la vie nous a appelés. Un deuxième rituel se présentait dans ma journée. Ça s’est fait tout naturellement. Le temps était compté, les choses se sont précipitées comme souvent lorsque la mort survient sans prévenir.

J’ai proposé. Ils ont demandé. Nous avons accepté. Nous nous sommes réunis.


Nous avons choisi de vivre ce moment ensemble. Je m’occupe du souper et du début de la transition pour le soir pour ma famille. Je commence à me préparer pour une soirée qui laissait entrevoir une densité d’un autre genre. Je vais dans mon jardin et me laisse inspirer par une cueillette de fleurs d’automne en vue d’honorer le passage de la mort dans la vie et de ceux qui restent. J’apporte ce que l’on m’a demandé et ce que je pense qui pourraient être utiles; deux pelles, une lampe et des gants de travail.


Ce soir, nous allons creuser. J’embrasse mes enfants qui resteront avec leur père pour le coucher. Au fur et à mesure que le soleil se couche, je me dirige vers la maison de mes amis, je respire et me souviens aussi de la perte d’un de mes animaux de compagnie il y a plusieurs années. Je respire encore et prononce son nom dans le silence de ma voiture. Je souris. Il sera mon petit Gardien, notre chat Mushu fait sentir sa présence pour me guider dans ce que nous allons vivre.


J’arrive à leur maison, ils sont sur la fin du souper avec leur grande fille. Nous discutons ensemble de la manière dont ils souhaitent procéder. Je fais quelques propositions, ils nomment leurs besoins. La mort est une étape pleine émotionnellement et remplie de beaucoup de gestion.


Des décisions qui doivent être prises habituellement rapidement, parce que c’est la vie. Les questions telles que «Comment ?», « Où ?», « Avec qui? », « Avec quoi? » , «Combien ? » émergent.


La présence d’une Doula peut être d’un grand soutien à ce moment pour apporter des points d’appui qui sont parfois difficiles de trouver lorsque tout notre être est submergé d’hormones et d’émotions.


Ils choisissent le lieu où leur chien sera enterré, il partage leur intention de permettre un espace de recueillement, on met en place un plan de match.


J’accompagne une partie de la famille dehors.


Il fait bien noir et je suis heureuse d’avoir apporté ma lampe de poche que j’accroche aux branches du pommier le plus proche. Nous installons une bâche au sol et commençons à creuser. Une fois l’emplacement prêt, on y dépose ce compagnon poilu, ce membre à part entière de la famille. J’approche mon panier de fleurs fraichement coupé pour l’occasion, j’allume deux bougies (une lueur pour lui et une pour nous) et fait bruler de l’encens.


Je suis prête.

L'espace est prêt.

Nous sommes prêts.



Le reste de la famille sort de la maison.


La jeune fille ne souhaite pas participer au rituel. Elle choisira une place à quelques mètres d’où nous sommes où elle pourra observer sans intervenir. Nous allons fréquemment la voir, nous validons que tout est toujours selon ce qu’elle souhaite, même si le processus n’est pas facile bien qu’il soit nécessaire et utile pour le tissage du deuil qui s’enclenche. Elle choisira une fleur à déposer sur son chien. Je lui propose de l’a déposer pour elle. Elle accepte. Tout le long du processus, du rituel jusqu’à l’enterrement, elle sera accompagnée de son autre chien qui lui aussi entamera sa traversée. Ce deuil de ce compagnon de jeu et de son partenaire du quotidien. Vient cet instant où un des propriétaires apporte ce même chien afin qu'il salue son partenaire une dernière fois, pour qu’il le voit et réalise qu'il s'est envolé maintenant, depuis quelques heures déjà. Pour que lui aussi puisse participer au rituel. Ils approchent tous les deux de l’espace. Ce chien qui habituellement est vigoureux et parfois brusque, avance maintenant à pas feutrés et s’approche délicatement de l’autel où repose son compagnon. Le temps s’arrête, on n'entend plus un bruit hormis le reniflement du chien. Et soudainement dans le silence de la nuit, plusieurs chiens du quartier se mettent à aboyer et hurler au même moment, comme s’ils souhaitaient manifester leur présence et leur soutien. Nous nous regardons et restons contemplatifs. Un élan de reconnaissance et d’émotions remplit mon cœur.


Lorsque le chien retourne en compagnie de la jeune fille, nous commençons à déposer les fleurs cueillies sur le corps de ce cher compagnon. Des mots lui sont écrits et déposés avec lui pour l’accompagner dans son voyage. Après quelques minutes, les deux maîtres font équipe et redéposent ensemble la terre sur la dépouille de leur chien recouvert de fleur, et ils le confient à la terre-mère. Tout le long de ma présence auprès d’eux, nous avons pu être ensemble pour partager des séquences de silence, à d’autres moments en accueillir des confidences, dont le récit de la découverte de leur chien décédé autant que des souvenirs partagés avec lui. J’ai observé des larmes rouler sur leurs joues et par moments tomber sur le sol, j’ai témoigné certains rires qui permettaient de soulager le présent, et cette compassion manifestée par une main tendue, une caresse et un soupir. J’ai pris conscience une fois de plus de la puissance de la présence, de l’écoute et de l’accueil, surtout dans ce genre de moment, où chacun trouve une manière de prendre place dans ce qui se vit, où chacun trouve la manière la plus juste pour lui de vivre et entamer son deuil. Nous terminons le tout ensemble, je propose de gérer ce qui est maintenant prêt à partir après la réalisation de ce rituel. Je les embrasse, les serre sur mon cœur et repars vers chez moi. Être Doula pour moi, c’est porter ces espaces de vie, y compris des transitions vers la mort, pour ceux qui quittent ainsi que pour ceux qui restent sur ce plan de conscience. C’est honorer chaque parcelle de sa pureté et de sa grâce même lorsqu’on est couvert de terre après avoir pelleté pour honorer un chien happé par la mort. C’est faire ce qui est nécessaire et proposer ce qui est trop difficile à faire, c’est amener d’autres propositions lorsque plus rien ne semble possible. Et bien souvent, c’est faire preuve de présence et de disponibilité. Hier, j’aurais témoigné deux espaces si différents et tout aussi importants. Ces passages qui proposent l’ouverture de notre monde du visible vers le monde de l’invisible et nous offre l’opportunité de nous rappeler que nous faisons constamment partie du grand tout. Hier soir, je n’ai pas cherché mon sommeil.


Je l’ai trouvé aisément et me suis laissé porter par le sentiment d’avoir été utile à ma communauté, d’avoir honoré cette mission qui m’habite d’offrir ma présence et d’avoir pu apporter une dose de soulagement à des personnes que j’aime. Je me sens une fois de plus privilégiée.




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